Мученичество ХХ века

De la sainteté nouvelle et du Mal éternel

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Les quarante martyrs de Sébaste sont des militaires chrétiens qui ont subi le martyre en 340 pour leur foi en Christ à Sébaste sur le territoire de l’actuelle Turquie. Les Romains exigeaient qu’ils sacrifiassent des offrandes aux dieux païens. Cette sainteté des premiers chrétiens a ressuscité de façon inattendue au XXe siècle. Deux systèmes totalitaires lui ont donné naissance et le siècle dernier est pourvu en nouveaux martyrs, combattants et victimes.

Au cours des dernières décennies en Russie, a été canonisée une multitude de nouveaux martyrisés du régime communiste. Chacun a son icône, son hagiographie, et maintenant des églises qui lui sont dédicacées. Il a même été créé un site internet véritable temple du polygone de Boutovo avec la liste de tous les fusillés, leur biographie et leur photographie. D’abord sur ce polygone de la mort une grande croix de bois a été érigée par des volontaires, puis a été construite une petite église de bois qui, avec le temps, ne pouvait plus contenir tous les croyants venus prier ; aujourd’hui un peu plus loin se dresse une grande église de tuffeau où tous les ans est célébré un pompeux office pontifical à la mémoire des victimes innocentes.

Mais, c’est étrange, on « commémore » ce jour une fois l’an, puis plus rien ; même dans les milieux ecclésiastiques, on ne s’efforce nullement de mentionner ces gens qui ont été assassinés par les bolcheviques de 1918 à 1939.

Bien sûr, on a fait un important et salutaire effort de retour aux anciennes dénominations : Boutovo, où ont été exécutés des gens de confessions diverses, est ouvert, tout comme le cimetière mémorial de Levachovo (près de Saint-Pétersbourg), on parle du monastère des Solovki transformé en camp du GOULAG (mais aujourd’hui on retire du musée du monastère les photographies des détenus, on efface la mémoire des exécutés de ces lieux profanés), il y a Moscou une croix de vénération rapportée des Solovki, il y a sur la place Loubianka un socle faussement vide (sur lequel cependant certains pseudo-patriotes rêvent de replacer « Félix de fer », comme on nommait Dzerjinski, fondateur de la Tcheka ), des martyrologes sont édités, des conférences et des expositions organisées. Sur les maisons où ont habité ceux qui ont été arrêtés par la police politique et ne sont jamais revenus apparaissent des plaques « Ici a vécu… ».

Bref, dans toute la Russie ont surgi des îlots de mémoire… Mais combien moins nombreux sont-ils que les camps du GOULAG qui, comme la petite vérole, couvraient la carte de l’URSS. Le retour de l’oubli dérape ! Ne reviennent dans la conscience des gens ni les mots de prière pour les défunts innocents, ni le désir de devoir de mémoire, pas plus que le repentir ou la volonté de désigner par leur nom le mal et le bien. On referme les archives, une rampante falsification de l’histoire s’insinue, lentement mais assurément, par les écrans de la télé et internet.

Comment cela s’explique-t-il ? Pourquoi est-ce que le peuple a facilement adopté Matrona de Moscou que l’on a même ajouté sur l’« icône » de Staline dont les bustes de bronze, les posters, les cartes postales et les calendriers défilent, non pas subrepticement mais ouvertement, en Russie ? Pourquoi est-ce qu’après les sanglantes purges de plusieurs générations apparaît dans la conscience populaire ce besoin de célébrer Staline ? De faire des « saints » de Raspoutine ou Ivan le Terrible ? Certainement « on récolte ce qu’on a semé », on ne peut sortir de l’oubli « les Ivanov qui ont oublié leurs ancêtres » que par un effort collectif émerveillé par la définition de « la verticale et de ses consolidations ».

On n’étudie pas L’Archipel du GOULAG à l’école, bien qu’il soit au programme, aux cours de catéchisme on ne parle pas des nouveaux martyrs ! Peut-être, s’il fallait régulièrement et non de temps en temps parler de la « terreur rouge » et prier pour les nouveaux martyrs, il faudrait ajouter « et protège-nous pour les siècles de Lénine, Staline et Hitler, du Diable rouge ou brun. » Mais est-ce que cette prière peut entrer dans les mœurs alors que sur la place Rouge ou dans le jardin Alexandre reposent ceux par qui des millions de gens sont morts ? Le désir ni l’espoir du retour d’une « main de fer » n’ont pas disparu de la Russie contemporaine.

Les premiers chrétiens ont été tués par des scélérats non chrétiens, dans les hagiographies le nom des assassins est souvent mentionné. Aujourd’hui apparaît une nouvelle tendance : même lorsqu’on fait mémoire des nouveaux martyrs, on dit qu’ils sont morts « victimes du compliqué XXe siècle » ou « d’un régime impie ». Une consolation, en 2000 a été peinte l’icône des Nouveaux martyrs de la foi, tout autour sont représentées des scènes d’assassinats avec des effigies concrètes des assassins en boudionovki de l’Armée rouge et le fusil en main, sur l’icône elle-même on peut voir de petits personnages en uniformes verts qui fusillent ou transpercent des prêtres de leur baïonnette.

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Que faut-il faire aujourd’hui pour que le passé ne répète pas demain ? Et comment définir la sainteté contemporaine dans le « complexe » contexte du XXIe siècle ?

Mon époux, Nikita Krivochéine, a, il y a déjà longtemps, avancé l’idée que le Mal, tout comme le Bien doivent toujours être présents dans le monde à « des doses » plus ou moins constantes. Le Mal a été affaibli en Russie avec la mort de Staline, en Allemagne avec le suicide d’Hitler. Le grand Mal a été acculé et entravé, mais comme il est malin (le diable) il a constamment cherché une issue, le moyen de s’introduire à nouveau en l’homme, de dominer le monde. De façon étrange, le Mal s’est délivré de ses chaînes et a recouvré la liberté sous forme de terreur islamiste ! Son fanatisme et sa haine des incroyants sont cela même qui pénétrait les régimes totalitaires du XXe siècle. Les méthodes et leurs moyens d’application sont identiques. Nous sommes de nouveau entrés dans une période de haine et de peur. Cette maladie contagieuse affecte les âmes sur tous les continents.

Dans bien peu de temps, le monde civilisé devra se définir : que faire avec les gens qui meurent des mains de « l’état islamique », pourrons-nous les considérer comme des saints ? Et leur liste est déjà longue, et ne fera que croître… Et ces victimes ne sont pas toutes de même confession…

Dans le monde actuel, il y a différentes opinions et approches concernant la canonisation de victimes massives d’assassins de croyance hétérodoxe. Les millions de victimes du génocide arménien ont été canonisées, ils ont leur icône. Il y a peu, les Coptes assassinés par les islamistes en Libye ont été canonisés comme martyrs de la foi, ils ont aussi leur icône qui ressemble à celle des nouveaux martyrs russes…

En Roumanie et en Pologne ont été canonisés les prêtres et les laïcs victimes du NKVD local.

En Allemagne, l’Église orthodoxe russe hors frontières a canonisé Alexander Schmorell, orthodoxe allemand d’origine russe, un des fondateurs de « Rose blanche », mouvement de Résistance sous le Troisième Reich qui a été guillotiné dans la prison de Munich le 13 juillet 1943 à l’âge de 25 ans en même temps que son camarade catholique Kurt Huber.

En Espagne, l’Église catholique poursuit la canonisation massive de prêtres et laïcs tués par les communistes durant la guerre civile de 1936-1937.

Je ne peux pas ne pas mentionner les sept moines trappistes assassinés dans la région de Tibéhirine en Algérie dont la canonisation est en cours.

Au cours de ces dernières années les attentats et les meurtres perpétrés avec une la plus grande dureté et sadisme se propagent de par le monde à la vitesse des incendies de forêt en France, en Allemagne, en Belgique, en Irak, en Turquie… Le but de ce Mal : répandre la panique, la peur, le chaos ; J’écris ce texte en juillet, et je ne sais pas ce que nous promet août… N’est-ce pas un retour aux quarante martyrs de Sébaste ?

« Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? » s’écrie l’apôtre Paul (1 Cor 15, 15)

Après avoir analysé notre présent et récent passé, je souhaite faire mémoire d’une merveilleuse personnalité du XXe siècle : sainte mère Marie Skobtsov (1871 – 1945). On connaît beaucoup de choses sur cette ascète sur la voie du Bien et résistante contre le Mal. Ce serait une erreur que de croire que mère Marie est entrée en Résistance durant l’occupation. Non, c’était le dernier sommet de son chemin de croix, le résultat d’une longue opposition à la violence qui fut sa raison d’être et a marqué toute sa vie.

Elle a toujours cherché sa voie et dans ses vers, et dans sa peinture religieuse, et dans ses essais théologiques si peu semblables à ce qui est communément admis. Une forte personnalité qui déborde du lit de Procuste, qui attire le mécontentement, la jalousie, voire la haine. Les gens ordinaires ne supportent pas l’originalité. Ses textes théologiques et le mouvement "Pravoslavnoie Delo" (L’action orthodoxe), l’association par elle fondée, ont suscité la componction ou la riposte de ses compagnons dans la foi, certains lui reprochaient les risques qu’elle prenait durant l’occupation.

Mais elle continuait, avec ses compagnons de lutte, à distribuer les certificats de baptême à des juifs, à cacher des prisonniers russes évadés et nourrir des indigents. Bien sûr, elle était surveillée, a été dénoncée et arrêtée. Mais ça n’a pas été la fin de sa résistance. Même au camp, elle a continué de réconforter, d’informer sur la Russie et la France, elle éveillait ses compagnes de détention à la poésie et l’Évangile, au risque de susciter la haine de l’administration du camp.

La dernière broderie sur foulard qu’elle a réalisée en 1944 au camp de Ravensbrück porte le titre codé « Victoire sur le Mal ».

C’était une fille de son temps, d’Europe et de Russie qui sentait les catastrophes et les explosions, qui sentait et prédisait la désolation. Le Seigneur lui a tracé un chemin d’épines, guérit les plaies du passé et elle, telle l’Égyptienne, tomba face contre terre et mit son âme à nu devant Dieu.

Aujourd’hui, certains prétendent que mère Marie n’est pas digne de sainteté en raison de ses péchés et de ce qu’« elle fumait et n’était pas une moniale traditionnelle. » L’Église a bien canonisé le tsar Nicolas II, pourtant il fumait ! Où est la démarcation « sainte – pas sainte » ?

Mère Marie a, bien sûr, sa place parmi les nouveaux martyrs. Elle est morte pour sa foi, pour nous sauver du totalitarisme, c’était une authentique chrétienne qui croyait véritablement et profondément en Dieu.

Que dirait-elle aujourd’hui ? Quelle voie choisirait-elle ? En tant que moniale, celle de l’humilité, de la foi, de la prière pour les ennemis ? Car nous savons que la « puissance [de Dieu] s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Cor, 12, 9)

Après avoir vécu les jours maudits de la Russie et les avoir décrits dans sa chronique Plaine russe, elle écrit en 1933 un bref essai "La Croix et la faucille et le marteau" où l’on peut lire : « De nos jours, il semble apparaître définitivement que dans le monde luttent deux forces, celle du christianisme et celle du communisme combatif et impie, le peu d’espace qui les sépare se réduit de plus en plus, disparaît. […] Ces deux forces sont si exclusives qu’il est de plus en plus clair qu’elles sont inconciliables, incompatibles. »

Peut-être que ce « peu d’espace » est aujourd’hui occupé par le nouveau Mal dont je parlais au début…

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